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Réforme des coûts moyens forfaitaires AT/MP : une charge financière accrue pour les entreprises utilisatrices

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Depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2024-723 du 5 juillet 2024, les règles de répartition des coûts liés aux accidents du travail (AT) et aux maladies professionnelles (MP) entre entreprises de travail temporaire (ETT) et entreprises utilisatrices (EU) ont profondément changé. Désormais, les EU doivent assumer à parts égales avec les ETT l’ensemble des coûts des AT/MP, là où elles n’en supportaient auparavant qu’un tiers. Ce nouveau régime de co-responsabilité ne relève plus du débat théorique : l’application du 50/50 figure désormais sur la plupart des relevés de comptes employeurs (RCE) dans Net-entreprises, confirmant la bascule effective. Les conséquences financières sont donc bien réelles et doivent être anticipées sans délai pour absorber les surcoûts potentiels dès la publication des taux AT/MP 2026.

Voulue comme un levier de responsabilisation, elle vise à renforcer la prévention, notamment pour les intérimaires souvent exposés à des postes à risque. Mais elle impose aussi de nouvelles contraintes opérationnelles et budgétaires, que les entreprises doivent désormais intégrer pleinement.

Pourquoi cette réforme a-t-elle été adoptée ?

Le décret vise à responsabiliser les entreprises utilisatrices, qui deviennent désormais pleinement « co-actrices » de la prévention des risques pour les salariés intérimaires qu’elles accueillent.

La répartition à « 50-50 » de l’intégralité des coûts moyens forfaitaires vise donc à les impliquer pleinement dans la sécurité des intérimaires, dans un contexte où ces derniers sont souvent exposés à des environnements de travail plus risqués.

Cependant, cette approche soulève plusieurs problématiques, notamment s’agissant de l’équité de la répartition et de l’impact financier réel de cette réforme pour les entreprises utilisatrices.

Un impact financier différé mais inégal

1. Des dispositions applicables en 2026

Le décret précise que le calcul du coût des AT /MP « classés en 2022 et 2023 » demeureront sous le régime de l’article R. 242-6-1 du Code de la sécurité sociale dans sa rédaction désormais ancienne.

Ceci a 2 conséquences :

  1. Toutes les incapacités temporaires (IT) et permanentes (IPP) reconnues en 2022 et 2023 demeureront imputées dans leur totalité au compte employeur des ETT tant pour toutes les IT que pour les IPP <10%, et à hauteur des deux tiers du coût pour les ETT et un tiers du coût pour les EU pour les IPP d’au moins 10% ;
  2. Toutes les incapacités temporaires et permanentes reconnues à compter de 2024 se verront appliquer les modalités du décret.

A l’avenir, les EU supporteront donc, à parts égales avec l’ETT :

  •  50% de la valeur du risque pour les IPP dès 1 %,
  • Mais aussi, 50% de la valeur du risque pour toutes les IT (arrêts de travail).

Chaque sinistre reconnu à compter de 2024 ayant donné lieu à arrêts de travail sera désormais imputé à hauteur de 50% de son coût sur le compte employeur de l’EU, alors que ce n’était pas le cas auparavant.

Ainsi, les taux AT/MP 2025 ne sont pas impactés par cette réforme (les années de compte employeur retenues dans le calcul de ce taux à venir étant 2021, 2022 et 2023).

En revanche, les taux AT/MP 2026 (années de compte employeur 2022, 2023 et 2024) seront les premiers à se voir appliquer ces changements d’imputations par l’intermédiaire des événements AT ou MP 2024.

Si cette nouvelle répartition des coûts vise à inciter les entreprises utilisatrices à améliorer leurs politiques de prévention et d’intégration des salariés intérimaires afin de réduire la fréquence et la gravité des accidents du travail, sur le plan strictement financiers, force est de constater qu’en réalité, l’impact financer pour les entreprises utilisatrices sera bien plus important qu’il n’y paraît.

2. Une répartition des coûts inéquitable en pratique

Les coûts moyens forfaitaires associés aux AT/MP sont définis par grandes familles de secteurs d’activité, appelés « Comités Techniques Nationaux (CTN) ».

Au regard de cette répartition par secteurs d’activité, il doit être souligné que les différences de montants de coûts moyens forfaitaires sur certaines catégories de coûts moyens IT (indemnités temporaires) ou IP (incapacités permanentes) peuvent être relativement importantes.

Et notamment, force est de constater que les coûts moyens applicables au secteur de l’intérim (CTN I) sont moins élevés que ceux applicables aux autres secteurs, dont relèvent les entreprises utilisatrices.

Dès lors que l’on fait ce constat, nul doute que l’on entrevoit l’impact financier pour les entreprises utilisatrices.

En effet, si la fraction 50/50 peut laisser transparaître une certaine égalité à première vue, l’analyse du coût réellement imputé à l’EU permet de constater qu’il sera invariablement supérieur à celui imputé à l’ETT.

Avec ce décret, les entreprises utilisatrices supportent davantage le poids du risque AT/MP, que ce soit en termes de prévention, avec des répercussions notamment sur la gestion de la faute inexcusable (en particulier sur les aspects liés à la responsabilisation tant sur la sécurité que sur la prévention), que d’un point de vue purement financier, avec une hausse potentiellement significative des cotisations sociales dès 2026.

Par conséquent, les entreprises utilisatrices devront anticiper ces coûts supplémentaires en :

  • Améliorant leurs politiques de prévention, ce qui nécessitera des investissements (formations, équipements, procédures) ;
  • Optimisant la gestion des déclarations d’accidents, pour limiter les imputations injustifiées ou exagérées.

ATMP interim

Des enjeux pratiques et stratégiques pour les entreprises utilisatrices

Au-delà de l’impact financier, ce décret implique une refonte des pratiques de gestion des AT/MP pour les entreprises utilisatrices, qui doivent s’adapter rapidement et être davantage proactives avec un objectif : optimiser en amont leur taux de cotisations AT/MP.

1. Prévention : un levier stratégique incontournable

L’une des réponses les plus efficaces à cette réforme réside dans une politique de prévention renforcée, si tant est que cette politique prévention ne soit pas déjà organisée et mise en place :

  • Analyse proactive des risques : les entreprises utilisatrice doivent identifier les risques et agir en amont pour réduire la fréquence des accidents.
  • Collaboration renforcée avec les entreprises de travail temporaires partenaires : une gestion coordonnée des risques, depuis le recrutement des intérimaires jusqu’au suivi des incidents, est essentielle.
  • Formation des intérimaires : investir dans des formations adaptées pour les salariés intérimaires pourrait limiter les accidents, tout en améliorant leur intégration dans les équipes et l’adaptation aux particularités du poste de travail.

2.  Gestion des déclarations et des précontentieux

Avec la visibilité accrue des AT/MP dans leurs comptes employeurs, les entreprises utilisatrices doivent prendre des mesures rigoureuses pour maîtriser leurs sinistres en amont de la prise en charge.

  • Optimisation des déclarations : en s’impliquant dès la phase déclarative, les entreprises utilisatrices peuvent limiter les imputations excessives ou injustifiées. C’est en effet l’entreprise utilisatrice qui est la mieux placer pour aiguiller l’ETT sur les circonstances, sur les modalités exactes de déclaration du sinistre et sur les éventuelles réserves à émettre.
  • Anticipation des contentieux : face à des risques accrus de litiges, les EU doivent collaborer étroitement avec leurs services juridiques et les ETT pour se prémunir. Assurément, tant pour les AT que pour les MP, pour lesquelles les questionnaires de la CPAM peuvent être complexes, l’EU est la mieux placée pour guider l’ETT sur les réponses à apporter, dans le but d’éclairer la Caisse et de faire éventuellement refuser le sinistre.
    En cas d’acceptation de l’AT ou de la MP, cette anticipation peut aussi être très précieuse afin de constituer un dossier contentieux plus « solide ». La coopération est donc essentielle.

Une réforme qui questionne l’équilibre global

1. Un risque caché : l’effet sur la compétitivité & les relations contractuelles

Dans un contexte économique tendu, cette charge financière accrue pourrait réduire la compétitivité des entreprises utilisatrices, en particulier les PME, moins capables d’absorber de telles hausses.

À long terme, certaines entreprises pourraient envisager de réduire leur recours à l’intérim au profit d’autres formes d’emploi, ou exiger de leurs partenaires de travail temporaire :

  • Des clauses contractuelles précises : pour clarifier la répartition des charges et anticiper les litiges.
  • Des garanties supplémentaires : par exemple, des engagements sur les critères et la qualité du recrutement des intérimaires ou sur leur sensibilisation efficiente aux risques professionnels.

2. Une gestion plus complexe des contentieux post-prise en charge & un risque de tensions juridiques accrues

S’agissant des contentieux afférents aux accidents du travail et maladies professionnelles, la nouvelle répartition des coûts issue du décret du 5 juillet 2024 induit plusieurs risques pour les entreprises utilisatrices.

En matière de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, les entreprises de travail temporaire solliciteront, comme certaines le font déjà, une répartition différente du coût moyen forfaitaire afférent à l’incapacité permanente partielle attribuée à un salarié intérimaire des suites d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (100 % du coût forfaitaire supporté par l’entreprise utilisatrice). Cette pratique risque probablement de se généraliser dans le cadre des contentieux FIE.

Par ailleurs, dans le cadre du contentieux de la sécurité sociale et plus particulièrement de la contestation des taux d’incapacités permanentes partielles attribués aux salariés intérimaires des suites d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, les entreprises utilisatrices se voient aujourd’hui opposer le défaut de qualité à agir.

En effet, depuis 2018, la position de la Cour de cassation est constante sur ce point : seul l’employeur, en sus de l’assuré, a qualité pour contester devant les juridictions du contentieux de l’incapacité la décision portant fixation du taux d’incapacité permanente partielle. De ce fait, l’entreprise utilisatrice, laquelle n’a pas la qualité d’employeur à l’égard des salariés mis à sa disposition, n’est pas recevable à agir en contestation d’une décision relative au taux attribué à l’un de ces salariés (Cass. Civ. 2ème 15/03/2018, pourvoi n°16-19.043).

La Cour de cassation a réaffirmé sa position en 2023 (Cass. Civ. 2ème 06/04/2023, pourvoi n° 21-24.622).

Cette position, qui concernait spécifiquement les taux d’incapacité permanente partielle (IPP), est par extension applicable aux indemnités temporaires (IT), dès lors que la réforme prévoit désormais un partage de la charge financière à hauteur de 50/50 entre l’entreprise de travail temporaire et l’entreprise utilisatrice.

Or, à défaut de qualité à agir et dès lors qu’elles vont désormais supporter une charge financière bien plus importante, les entreprises utilisatrices auront intérêt à solliciter systématiquement leur mise en cause dans les procédures initiées par les entreprises de travail temporaires avec lesquelles elles sont contractuellement liées. A ce jour, il s’agit de leur seul moyen d’agir en contestation des AT/MP imputés pour un intérimaire.

Plus largement, la jurisprudence précitée paraissant particulièrement inique et même contraire aux règles de procédure, ne faudrait-il pas envisager une démarche plus globale des entreprises utilisatrices visant à obtenir une évolution jurisprudentielle, voire législative, favorable reconnaissant à terme leur qualité à agir dès lors qu’elles supportent une part non négligeable du coût des AT/MP survenus aux salariés intérimaires mis à leur disposition ?

En tout état de cause, dans ce contexte, il sera difficile pour les entreprises utilisatrices de continuer à accepter de supporter une charge financière plus importante, sans pouvoir optimiser leurs taux de cotisations AT/MP par leurs propres actions contentieuses.

Des opportunités & un défi à relever pour les entreprises utilisatrices

Comme nous l’avons évoqué précédemment, le décret du 5 juillet 2024 marque un changement majeur dans la gestion des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Si l’objectif de responsabilisation des entreprises utilisatrices dans la prévention des risques à l’égard des salariés intérimaires est louable, les implications pratiques et financières de cette réforme sont considérables.

Toutefois, pour les entreprises utilisatrices, l’enjeu sera de transformer ces contraintes en opportunités :

  • En renforçant leurs politiques de prévention pour réduire le risque AT/MP des salariés intérimaires ;
  • En optimisant leurs pratiques de déclaration et de gestion des AT/MP
  • En repensant leurs partenariats avec les entreprises de travail temporaires pour mieux répartir les charges et les responsabilités.

La réussite de cette adaptation dépendra aussi de la capacité des entreprises utilisatrices à se mobiliser collectivement pour défendre leurs intérêts et faire évoluer la jurisprudence, voire la loi, quant à la notion de qualité à agir.

Si l’on doit voir cette réforme comme une opportunité de transformation, il faut néanmoins garder à l’esprit qu’elle exige une anticipation et une stratégie solides pour en limiter les effets négatifs.


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