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Le télétravail après l’ordonnance Macron N°2017-1387* : plus de flexibilité signifie-t-il moins de cadrage ?

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L’ordonnance relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail a redéfini le cadre de pratique du télétravail, et apporté plus de souplesse dans la mise en œuvre de ce mode d’organisation. La Loi de ratification de mars 2018 confirme cette flexibilité accrue ; le recours au télétravail ne nécessite plus la notion de « régularité » que l’ordonnance a écartée. Ainsi le télétravail peut être envisagé occasionnellement, même en dehors de circonstances exceptionnelles (grèves, intempéries…).

La refonte législative de la mise en place du télétravail a également décalé le prisme de formalisation depuis l’individu vers le collectif : précédemment les modalités actées avec le télétravailleur figuraient dans son contrat de travail ou un avenant à celui-ci ; dorénavant, la négociation d’un accord collectif, ou à défaut la rédaction d’une charte – unilatérale – soumise à avis du Comité Social et Economique (CSE) sont préconisées. Et à défaut d’un accord ou d’une charte, employeur et télétravailleur formalisent le recours au télétravail par tout moyen.

(*) : Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.

Faut-il en déduire que l’employeur gagnerait à se dédouaner d’une négociation collective ? Ou à défaut, de la rédaction d’une charte ?

La possibilité pour l’employeur de ne recourir qu’à des validations au cas par cas, même formalisées, existe bel et bien.

Mais cette faculté de « tracter » individuellement hors de tout cadrage ne doit pas apparaître comme une facilité et masquer, comme l’arbre la forêt, un mode d’organisation collective du travail qui mérite d’être posé. S’affranchir de la définition du cadre reviendrait à ne gérer que le cas par cas et sous-estimer les enjeux et impacts du télétravail dans son organisation.

L’approche collective est souhaitable pour différentes raisons, parmi lesquelles :

  • La mise en place du télétravail peut s’intégrer dans une démarche globale et concrète de Qualité de Vie au Travail, voire de RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) : meilleure qualité du travail, meilleure conciliation des temps personnels et professionnels, réflexions sur l’organisation du travail et la répartition des tâches (Qui fait/peut faire quoi, comment, quand…), prise en compte des aspects environnementaux et sociéto-économiques…
  • Le télétravail – sujet de progrès et peu polémique – sauf peut-être sur ce qui relève ou non du télétravaillable et la question de l’égalité professionnelle sous-jacente – est une thématique qui se prête au dialogue social
  • La transparence sur le sujet, l’équité de traitement, l’égalité professionnelle… sont autant de raisons militant pour une approche collective ; c’est l’occasion de gérer le cas du télétravail « gris », celui qui s’est installé hors de tout cadre, de gré à gré, et qui du fait de son historique n’est pas très favorable à une rationalisation
  • La mise en œuvre du télétravail questionne les modèles en place et souvent amène à les repenser, parfois de façon substantielle : révision de la répartition des tâches, tant individuellement que chronologiquement ; cet aspect est d’autant plus prégnant que le nombre de télétravailleurs ou la durée de télétravail par salarié sera appelé à augmenter dans une équipe.
  • La perception individuelle des parties prenantes est singulière (chacun a son avis sur le télétravail) ; la conception est souvent différente entre les candidats au télétravail, les managers, les IRP, les collègues de télétravailleurs, les différents services supports concernés (RH, SI, Prévention…) et mérite d’être confrontée pour se partager

Guide CII 2018

Si pour le demandeur de télétravail, il ne s’agit ni plus ni moins que de travailler depuis son domicile (cas le plus fréquent), ses motivations étant principalement d’éviter les temps de trajet (les coûts associés) et/ou les distractions nombreuses au bureau l’empêchant de se concentrer sur des tâches ardues, il en est autrement pour nombre de managers.

Le manager d’un futur télétravailleur est parfois plus frileux vis-à-vis de cette organisation : changement d’habitudes, « loin des yeux : loin du cœur », sentiment de perte de contrôle, défiance… Et « un lieu de travail, c’est fait pour travailler, pas la maison » ! En plus, souvent, le manager met à rude épreuve son sentiment de confiance vis-à-vis de son collaborateur, qui lui-même en perçoit les failles !

Au-delà des télétravailleurs et managers de télétravailleurs en puissance, le télétravail impacte d’autres acteurs de l’entreprise ; il importe de les associer dans la démarche et a minima pour certains de les informer :

  • La direction qui devra s’engager dans la démarche en la considérant comme un projet de transformation à part entière dès sa mise en place
  • Les acteurs RH, DSI, communication, prévention, CSE… seront parties prenantes dans la mise en place ; ils seront sollicités au cours de la vie du télétravail (accompagnement des managers et collaborateurs pour les acteurs RH, dépannages informatiques pour la DSI, prévention des risques pour les acteurs prévention…) ; enfin, ces acteurs seront sollicités pour établir un bilan à chaque campagne / année, pour capitaliser sur les retours d’expérience
  • Les collectifs de travail, à savoir les collègues de télétravailleurs sont les « oubliés de l’affaire ». Et pourtant, ils auront aussi à amorcer des changements de fonctionnements : partager des dossiers « non physiques » emportés par le collègue télétravailleur, s’habituer à solliciter son collègue pendant son télétravail, accepter de nouvelles répartitions de tâches, oublier que l’absence physique n’est pas que maladie ou congés… mais aussi – télétravail !

Le chantier managérial est parfois conséquent, d’autant que le manager devra également s’assurer que son collaborateur ne tombe pas dans les travers – il y en a – du télétravail : isolement, désinsertion du collectif, surinvestissement et envahissement de la sphère privée, hyper connexion, mauvaise ergonomie du poste de travail… La vigilance du manager pour développer une relation de proximité forte (si tant est qu’elle ne l’était pas déjà) avec ses collaborateurs est un des garde-fous ; l’implication de tous dans une approche collective en est un autre.

Le sujet du télétravail n’est pas aussi linéaire que simplement «On travaille de la maison !». Il mérite d’être abordé comme un véritable projet d’entreprise, un processus d’accompagnement au changement.

Cela suppose de poser clairement le cadre, de communiquer largement pour informer, faire comprendre, préparer ; mais aussi de former, a minima les principaux intéressés, sur tout ce que recouvre la mise en place du télétravail en termes d’organisation, de management, de communication, de prévention des risques…

Préparer les esprits, appliquer la politique des petits pas, être bienveillant et faire confiance, manager par objectifs et accompagner l’ensemble des acteurs… La Qualité de Vie au Travail devrait s’en trouver grandie.

Article de Patricia MONNIER – Consultante Référente Qualité de Vie au Travail

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