En février 2017, l’ensemble des consommateurs d’électricité a subi une augmentation d’environ 2% de sa facture électrique, caractérisée par une nouvelle ligne de coûts : le mécanisme de capacité.
Le 26 avril 2018, lors de la 3ème session des 7 prévues pour fixer le prix de référence de ce nouveau marché pour l’année 2019, les enchères se sont établies à 18,241 k€/MW, soit le double de celles pour l’année 2018 (9,375 k€/MW)(1).
Ces signaux éveillent de plus en plus l’intérêt des entreprises du secteur industriel et tertiaire pour l’effacement lors des pointes d’hiver, et plus généralement à chaque fois que RTE (Réseau de Transport d’Électricité) le demande.
L’effacement de consommation électrique permet de sécuriser l’approvisionnement en électricité
En première approche, l’effacement de consommation électrique peut se définir comme une réduction temporaire du niveau de consommation d’un site vu du réseau, en réponse à une sollicitation externe (2). Le réseau électrique se doit d’être constamment équilibré entre l’offre (la production d’électricité), et la demande (la consommation d’électricité), ces deux paramètres étant sources d’instabilité constantes.
D’un côté, les variations futures de la demande électrique se prédisent relativement aisément. Elles dépendent notamment de la météorologie, puisque la consommation de chauffage augmente lors des périodes de grand froid, ou encore de l’activité économique, puisque la consommation des établissements tertiaires diminue la nuit et le weekend.
Pour lisser au maximum la demande, les consommateurs sont incités depuis longtemps à diminuer leur charge pendant les périodes de pointe, via les tarifications des fournisseurs historiques, comme les options heures creuses ou EJP (Effacement Jour de Pointe).
C’est insuffisant : si la consommation française est globalement stable depuis 2005 (-1,5%)(3), la demande en pointe a augmenté de 9,3%(4) sur cette même période. L’apparition de la « pointe mobile » pour les clients en HTA (Haute Tension d’Alimentation) à l’occasion du TURPE 5(5) contribue néanmoins depuis le 01/08/2017 à cet effort.
De l’autre côté, les modèles de prédiction de la production d’électricité se complexifient de plus en plus, en raison de l’intégration de systèmes de production d’énergie renouvelable intermittente, du développement du parc automobile électrique et des besoins grandissant en maintenance des réacteurs nucléaires français(6).
Pour mener à bien son exercice de funambule, RTE dispose de réserves de puissance mobilisables constituées d’une part d’installations de production, et d’autre part d’une proportion grandissante de consommateurs disposés à s’effacer.
L’objectif de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie de doubler les capacités d’effacement disponibles pour 2018 par rapport à 2017, pour atteindre un total de 5 GW d’effacement, montre bien l’importance des enjeux. Si la création du marché de capacité participe à ce processus, de nombreux autres mécanismes de valorisation d’effacement existent.
Aux différents besoins du réseau correspondent différents types d’effacement
Dans sa boite à outils pour équilibrer le réseau électrique, RTE requiert des capacités d’effacement et de production sur une échelle de temps très ouverte, allant du très court terme jusqu’à plusieurs années d’anticipation.
Comme illustration des besoins à court terme, un déséquilibre de fréquence sur le réseau nécessite une action corrective très rapide, gérée grâce aux réserves primaires et secondaires qui sont des capacités mobilisables en une dizaine de secondes seulement.
A l’autre bout de l’échelle, le marché de capacité permet de constituer des portefeuilles de capacités pour plusieurs années en avance. C’est justement ce marché de capacité, prévu pour répondre aux besoins d’effacement pendant les pointes hivernales (jours dits « PP1 » et « PP2 »), qui est refacturé par les fournisseurs d’énergie et dont les prix se sont envolés lors des sessions d’enchères de mars et avril 2018. Le montant à payer par le consommateur est fonction de la puissance appelée pendant les jours de pointes.
Deux solutions s’offrent donc :
- Arrêter de consommer pendant les jours PP1, ce qui correspond à 10 et 15 jours par an de 7h00 à 15h00 et de 18h00 à 20h00. Cela permet de limiter le coût de capacité sur la facture.
- Faire certifier sa capacité d’effacement par un agrégateur, et se rendre disponible sur les marchés de l’énergie ou sur les marchés de l’effacement pendant les jours PP2, soit 25 jours par an. En pratique cependant, l’agrégateur n’active réellement l’effacement que quelques heures dans l’année. Cela permet donc d’obtenir un revenu à peu près équivalent au coût de la capacité sur sa facture, pour un bien moindre.
Ce système de certification de capacité par un agrégateur vaut pour d’autres mécanismes que le marché de capacité. Le fonctionnement est simple : les capacités d’effacement sont mises à disposition de RTE par des consommateurs qui obtiennent en échange une rémunération, pouvant représenter une part non négligeable de leur budget énergie. Deux types de primes sont proposés dans les mécanismes de rémunération.
D’une part, on perçoit une prime fixe en €/kW, fonction de la puissance en kW de la capacité d’effacement et de la disponibilité de cette dernière dans le temps. D’autre part, on perçoit une prime variable, dite d’activation, qui est fonction des effacements effectués pendant la durée du contrat et s’exprime donc en €/MWh.
Certains mécanismes proposent l’une ou l’autre des primes, et parfois les deux. Les différences de rémunération entre les mécanismes sont dues au délai d’activation que chaque mécanisme exige ainsi qu’au mécanisme d’enchères mis en place par RTE.
Ainsi, la réserve primaire se valorise en 145 et 160 k€/MW/an + énergie au prix du marché spot ; l’AOE pour 2018 devrait se situer aux alentours de 30 k€/MW/an ; les réserves rapides ont chuté de 24,3 à 10 k€/MW/an entre 2017 et 2018, mais devrait repartir à la hausse pour 2019.
Selon l’ADEME , les mécanismes de valorisation de l’effacement en France sont bien dimensionnés et même avancés par rapport aux autres pays développés. De même, les outils techniques et technologiques, tels que par exemple l’instrumentation et les logiciels d’optimisation et de contrôle, sont aujourd’hui matures.
Les barrières à l’adoption de l’effacement par les consommateurs d’énergie se situent donc principalement du point de vue organisationnel.
Un potentiel technico-économique important… pour qui veut bien s’en donner la peine
Du point de vue des consommateurs, il est possible de se positionner sur ces mécanismes via 3 principaux types d’effacement.
- L’effacement basé sur de l’autoproduction : opération consistant à diminuer la consommation du site vu du réseau en substituant le soutirage du réseau par un recours à un groupe de production présent sur le site. Cet effacement est le plus souvent réalisé grâce à des groupes électrogènes.
- L’effacement diffus : opération qui consiste à faire appel à un nombre conséquent de capacités d’effacement éparses. Cet effacement concerne actuellement des capacités présentes surtout sur le réseau électrique de distribution et à usage thermique (ballon d’eau chaude sanitaire électriques, radiateurs).
- L’effacement de process :
- « Interruptible » : opération qui consiste à renoncer temporairement au produit ou à l’utilité d’une consommation sur le site. C’est typiquement l’exemple de compresseurs froids associés à des zones de stockage que l’on va stopper pendant quelques heures, l’inertie des chambres frigorifiques permettant de conserver une température en dessous des seuils requis
- « A stock intermédiaire » : opération qui consiste à décaler l’usage d’un poste de consommation à une date ultérieure en faisant appel à un stock permettant ainsi de ne pas renoncer au bénéfice de la consommation.
De ces 3 types d’effacement, les deux premiers possèdent à court terme un potentiel technico-économique relativement limité. En effet, la rémunération de l’effacement basé sur de l’autoproduction via des groupes électrogènes est appelé à disparaitre.
C’est déjà le cas concernant l’Appel d’Offres Effacement, puisque ces groupes seront exclus de l’appel d’offres en 2020, après une diminution de la valorisation dès 2018. L’effacement diffus, qui nécessite la gestion à distance de milliers d’équipements en parallèle, est en phase de développement chez des acteurs tels que des bailleurs sociaux, mais cherche encore son business model.
A l’inverse, et contrairement aux idées reçues, beaucoup d’organisations de toutes tailles et tous secteurs confondus ont un potentiel pour valoriser de l’effacement de process. Actuellement, la limite basse en termes de puissance électrique pour qu’il soit intéressant d’étudier le gisement se situe à 100 kW.
Dans l’industrie, les fours électriques, les moteurs et compresseurs, les systèmes de froid industriel ou tous les process « flexibles » sont tout désignés. Ces équipements se retrouvent notamment dans l’agroalimentaire, la chimie, la métallurgie, la mécanique, l’industrie du papier, etc. Dans le tertiaire, les entrepôts alimentaires, les data centers, les grands immeubles de bureaux ou encore le secteur de l’eau sont susceptibles de correspondre.
Pour pouvoir exploiter ce gisement de revenus, il est nécessaire aux organisations de laisser la porte ouverte à une vision moins centrée sur la seule production, en acceptant d’évaluer leur potentiel d’effacement.
Une telle évaluation mettra à contribution les équipes de maintenance et d’exploitation d’un site dans une démarche commune pour déterminer les équipements dont l’usage peut être modulé ainsi que les délais et les usages des dites modulation.
Ces études prennent évidemment en compte les contraintes spécifiques à chaque métier et chaque secteur, comme par exemple les températures limites à assurer dans la chaîne du froid alimentaire, les volumes de stocks intermédiaires maximum entre 2 process, ou encore les pressions d’air minimum pour assurer le bon fonctionnement d’équipements pneumatiques.
Plus de flexibilité pour se rapprocher du « consomm’acteurs »
En réponse à ces signaux d’augmentation des coûts de la capacité, il est essentiel que les consommateurs acceptent d’étudier leur potentiel d’effacement et de réfléchir sur de possibles modifications organisationnelles.
Ils cesseront ainsi d’être des consommateurs passifs, profondément impactés par la hausse des coûts globaux de l’énergie, pour devenir des consomm’acteurs, capables de prévoir et d’agir sur leurs consommations pour gagner en visibilité et rentabilité.
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(1) EPEX SPOT
(2) Définition de la Commission de Régulation de l’Electricité (CRE)
(3) 482,4 TWh en 2005 contre 482 TWh en 2017
http://bilan-electrique-2017.rte-france.com/consommation/consommation-brute/
(4)86 GW en 2005 contre 94 GW en 2017
http://bilan-electrique-2017.rte-france.com/consommation/14-2/
(5) TURPE : Tarifs d’Utilisation des Réseaux Publics de Distribution d’Electricité
(6) Cour des comptes, Rapport public annuel 2016, La maintenance des centrales nucléaires : une politique remise à niveau, des incertitudes à lever
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