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L’innovation au service de la réindustrialisation

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Début 2022, une mission d’information du Sénat sur le thème « excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française », a été lancée à l’initiative du groupe Les indépendants-République et Territoires. Découvrez les conclusions de cette étude qui ont été présentées le jeudi 9 juin 2022.

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Malgré un soutien public à l’innovation conséquent, comme en témoignent les 110 milliards d’euros engagés dans les aides PIA (programme d’investissement d’avenir) de 2010 à 2030, la recherche française ne sert plus l’industrie. 
Au cours des dix dernières années, les dispositifs publics ont bien contribué à la création de 20 000 start-up « French Tech », mais essentiellement dans les domaines du numérique ou des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication).

Les levées de fond records des derniers trimestres (5 milliards d’euros pour le seul T1 2022) par l’écosystème French Tech, profitent également majoritairement au entreprises du numérique, ainsi, sur les 26 licornes françaises, seule une est industrielle.

Le sujet de l’émergence de nouveaux champions industriels est questionné : le ton est donné dans les premières pages du rapport « L’incapacité de la France à développer un vaccin contre le covid-19 a rappelé brutalement qu’elle ne faisait plus partie des États leaders dans l’innovation. La France est-elle condamnée à se cantonner au rôle de fournisseur d’innovations technologiques de qualité et bon marché, transformées par des entreprises étrangères en innovations industrielles qui lui reviendront sous forme d’importations dégradant encore davantage sa balance commerciale ? ».

Dans la suite de l’article, nous revenons sur les principaux enseignements du rapport :

  1. L’incapacité à transformer l’innovation en réussite industrielle en France
  2. Les conditions systémiques pour rendre efficace la politique française de l’innovation
  3. Les sept mesures prioritaires pour l’accompagnement de la création et de la croissance des entreprises innovantes à vocation industrielle

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 1/ L’incapacité à transformer l’innovation en réussite industrielle en France :

Depuis 1967, le taux d’industrialisation de la France a chuté d’un tiers, passant de 28 à 10 %. À titre de comparaison, l’Allemagne se situe à 20 % et l’Italie à 15 %.
Cette incapacité à relever le défi de l’innovation industrielle est largement responsable du déficit chronique de notre balance commerciale, qui s’est encore accentué en 2021 pour atteindre 84,7 milliards d’euros. Elle est également à l’origine de notre étroite dépendance à l’égard de chaînes d’approvisionnement situées dans des pays en dehors du continent européen, en contradiction avec les objectifs de transition écologique, et souvent en désaccord avec nos politiques sociétales.
Les productions de biens et de services étant de plus en plus étroitement imbriquées, les entreprises industrielles exportatrices de biens manufacturés exportent également les services qui y sont associés. En conséquence, il est difficile à un pays ayant renoncé à son industrie d’être un grand exportateur de services à haute valeur ajoutée. La désindustrialisation de la France s’est également accompagnée d’une marginalisation de l’industrie française dans les secteurs innovants comme les télécommunications, l’électronique, le numérique et les énergies renouvelables.

La réindustrialisation constitue un enjeu majeur de réduction de l’empreinte carbone nationale pour la France.

Les 3 principaux obstacles pour le passage de l’innovation à l’échelle industrielle sont :

  1. Les difficultés à financer rapidement des entreprises à vocation industrielle dont la croissance requiert une forte capacité à mobiliser des capitaux ;
  2. Les difficultés de recrutement et d’accès aux compétences, ou à des infrastructures industrielles et plateformes de production ;
  3. L’absence d’accès à un marché européen unifié (le marché français étant trop limité).

 2 / Conditions systémiques pour rendre efficace la politique française de l’innovation:

En réponse à ces différents constats, 4 conditions systémiques ont été identifiées pour rendre efficace la politique française de l’innovation :

  1. Investir dans l’éducation et la recherche : la France n’a toujours pas atteint l’objectif de consacrer, d’ici à 2030, 3% de son PIB aux activités de R&D et la loi de programmation de la recherche (fin 2020) permet tout juste à la France de combler son retard en matière de recherche. Le déficit en matière d’effort de R&D concerne autant la recherche publique (0,77% vs un objectif de 1%) que la recherche privée (1,44% pour un objectif de 2%). L’enseignement supérieur doit faire l’objet d’un investissement massif dans les plus brefs délais. Par ailleurs, la promotion des sciences exige à la fois la mise en place d’une stratégie au plus haut niveau de l’État et des moyens financiers et humains pour la mettre en œuvre.
  2.  Réhabiliter l’industrie par l’innovation : un travail de réhabilitation de l’image de l’industrie auprès des Français est essentiel. Ensuite, cela passe par un objectif chiffré ambitieux de réindustrialisation de la France pour mobiliser les énergies (l’industrie doit représenter 20 % du PIB en 2030) et la mise en place d’une politique de soutien à la recherche et à l’innovation au service du tissu industriel français.
  3. Renforcer la culture de l’innovation et de l’entrepreneuriat : les actions à engager sont nombreuses pour lever les freins culturels et sociaux notamment en insufflant la culture de l’innovation dans l’ensemble de la société française. Par ailleurs, le renforcement des synergies entre recherche académique et entreprises est indispensable : la France affiche un financement privé de la recherche publique plus faible (5,2 % de la DIRDA en 2016) que la moyenne de l’Union européenne (7 %). Trois pistes sont détaillées :
    1. Revoir les critères d’évaluation des chercheurs : « Un brevet devrait donc avoir au moins la même valeur qu’une publication scientifique dans la procédure d’évaluation des chercheurs. » ;
    2. Augmenter le nombre de doctorants en entreprises ;
    3. Multiplier les « lieux de frottement » entre monde académique et monde économique, en particulier sur la formation.
  4. Mettre en place une véritable stratégie de l’innovation : La France conserve une vision très linéaire de l’innovation, conduisant les pouvoirs publics à soutenir celle-ci essentiellement au travers d’appels à projets qui ne permettent pas de construire des feuilles de route industrielles et technologiques. Pour créer une stratégie de l’innovation globale et cohérente, il apparait nécessaire :
    1. D’intégrer la dimension territoriale : favoriser une logique « bottom up » de l’innovation dans laquelle chaque région est amenée à prendre en main son destin industriel et innovant.
    2. De mettre en œuvre une approche « holistique » pour combiner les dispositifs de soutien à des projets en amont avec une capacité à appuyer les phases aval d’industrialisation
    3. D’assurer l’articulation de la stratégie nationale de recherche et d’innovation avec les autres dispositifs publics au niveau européen
    4. De mettre en place des gouvernances capables d’exécuter des décisions en « circuit court » fondées sur une évaluation régulière de l’impact économique des projets soutenus et sur une veille stratégique et prospective permanente.

3/ Les sept mesures prioritaires pour l’accompagnement de la création et de la croissance des entreprises innovantes à vocation industrielle:

Les membres de la mission ont identifié plusieurs actions à mettre en œuvre regroupées en 7 thèmes principaux :

1. Faire de la commande publique un levier de croissance pour les entreprises innovantes

Différents états ont mis en place une politique assumée de soutien au tissu économique national par la commande publique participant à l’émergence d’acteurs innovants. En France, la commande publique représentait 111 milliards d’euros en 2020, pour autant cet outil stratégique de politique économique reste très peu utilisé.

Plusieurs axes ont alors été identifiés :

  • Utiliser toutes les souplesses du code des marchés publics : en adoptant une description précise du besoin pour orienter le choix vers tels fournisseurs plutôt que vers tels autres, et ainsi favoriser les entreprises innovantes françaises ;
  • Faire évoluer le droit de la commande publique pour permettre la conciliation de plusieurs objectifs d’intérêt général : à l’instar de ce qu’a fait l’Allemagne, enrichir les principes fondamentaux de la commande publique afin d’y inclure par exemple le soutien à l’innovation ou aux PME ;
  • Tripler le plafond de l’achat innovant, qui permet de passer des marchés publics sans publicité ni mise en concurrence préalable, pour le porter de 100 000 à 300 000 euros pour pouvoir soutenir l’innovation industrielle, dont les produits dépassent largement le seuil actuel ;
  • Former les acheteurs publics à l’achat innovant afin de faire évoluer les mentalités ;
  • Encourager l’adoption d’un small business act plus volontariste et accepter une forme de surfacturation des entreprises innovantes émergentes européennes ;
  • Promouvoir le partenariat d’innovation : dispositif intégré, qui comprend à la fois la phase de recherche et développement et l’acquisition finale du produit, avec une seule mise en concurrence et une contractualisation possible avec plusieurs entreprises en parallèle.

2. Lever les obstacles réglementaires et administratifs et raccourcir les délais d’instruction

Les contraintes des entreprises sont globalement mal appréhendées par l’administration et les organismes publiques, comme le souligne par exemple le décalage entre l’horizon temporel des laboratoires de recherche publics avec celui des entreprises. Les procédures administratives peuvent représenter un réel handicap dans des processus d’innovation ou d’industrialisation. Il apparait ainsi indispensable de poursuivre et renforcer les initiatives de facilitation des démarches et de raccourcissement des délais pour l’implantation d’installations industrielles en augmentant le nombre de « sites industriels clés en main » au travers d’une meilleure planification de leur utilisation, et d’œuvrer pour un marché européen plus intégré.

3. Réorienter, à moyens constants, les aides fiscales pour mieux accompagner le passage à l’échelle des petites et moyennes entreprises innovantes

Les parlementaires se sont appuyés sur les récentes études comme celle de la Commission Nationale d’Evaluation des Politiques d’Innovation (CNEPI) ainsi que les recommandations émises par le Conseil des Prélèvements Obligatoires (antenne de la Cour des Comptes) en février 2022 .
Le Crédit d’Impôt Recherche, première mesure de soutien à la recherche privée en France, reste un outil essentiel dont l’efficacité limitée pourrait être accrue :

  • S’agissant du CIR : volonté de cibler davantage les PME (volonté déjà affichée dans un rapport de la commission des finances de l’Assemblée Nationale ) au travers du CIR avec deux évolutions possibles :
    • Supprimer le CIR au-delà du plafond de 100 millions d’euros de dépenses de R&D, en augmentant le taux en deçà du plafond : cela entrainerait une économie de 750 millions d’euros.
    •  Calculer le plafond du CIR au niveau de la tête de groupe de l’intégration fiscale, et non plus au niveau de chaque filiale : cela entrainerait une économie de 530 millions d’euros par an.
  • S’agissant du CII : le plafond est jugé trop faible avec un effet de seuil brutal pour les ETI, le dispositif ne permet pas, par exemple, le financement d’un gros démonstrateur dont le coût est très élevé. La solution proposée par la mission sénatoriale est la suivante : doubler le plafond du CII afin de le porter à 800 000 euros.

Les économies réalisées par les réformes sur le CIR pourraient par exemple aboutir à l’instauration d’un coupon recherche-innovation au bénéfice des PME :

  • Ce coupon recherche s’élèverait à 30 000 euros, dans la limite d’une enveloppe globale de 120 millions d’euros.
  • Il serait destiné uniquement aux PME et dédié uniquement au financement de l’innovation.
  • L’emploi de cette enveloppe serait laissé à la libre appréciation de l’entreprise bénéficiaire pour mener des projets d’innovation en interne ou par le biais de prestataires extérieurs.

4. Améliorer la valorisation pour lever les freins à l’essor des start-up les plus innovantes

Le business model des sociétés d’accélération de transfert de technologies (SATT), qui suppose un autofinancement, et donc une logique de rentabilité, est contreproductif. En effet, la mission de ces dernières est d’abord « d’assurer leur rentabilité financière, plutôt que d’aider la recherche publique et les start-up et PMI-PME », selon Didier Roux, membre de l’Académie des sciences et de l’Académie des technologies. Les projets financés par les SATT ne sont pas forcément les plus innovants, compte tenu des critères de sélection qu’elles appliquent et de leurs exigences de rentabilité à court terme.

Il apparait alors nécessaire de bousculer les modèles en place, en supprimant les objectifs de rentabilité des SATT et de :

  • Penser la valorisation comme un investissement de long terme appelant une programmation pluriannuelle ;
  • Conditionner le soutien financier aux start-up à des obligations en matière d’implantation industrielle, y compris en cas de rachat par une société étrangère ;
  • Mesurer l’efficacité de la valorisation de la recherche à l’aune des critères d’impact économique, écologique, social et de souveraineté : nombre d’entreprises créées, nombre d’emplois directs et indirects créés, le nombre de brevets activement utilisés, …

5. Favoriser la structuration d’un écosystème de fonds d’investissement à toutes les étapes du développement des entreprises industrielles innovantes

Les dispositifs publics de financement, d’accompagnement et de soutien en vigueur ne permettent pas toujours d’appréhender les spécificités des entreprises innovantes à vocation industrielle.

Le risque d’une « fuite » des innovations françaises est réel dans ce contexte.

Ainsi, adapter l’écosystème de financement des start-up aux enjeux industriels dès les premières levées de fonds apparaît comme essentiel en :

  • Soutenant la création de fonds d’amorçage spécialisés dans les technologies de rupture, l’industrie et les biotechnologies ;
  • Utilisant le maillage territorial de la mission French Tech pour attirer les financements privés vers les start-ups industrielles et les entreprises innovantes implantées en dehors de l’Île-de-France ;
  • Incitant les gestionnaires de patrimoine de familles industrielles à investir dans le développement des start-ups industrielles.

La création d’un « Nasdaq européen » pour permettre la cotation des licornes technologiques et l’élargissement de l’initiative Tibi (combler une faille de marché en mobilisant l’investissement des acteurs institutionnels pour le financement d’entreprises technologiques) au financement des start-up industrielles, des entreprises de rupture technologique et de biotechnologies sont les 2 autres mesures identifiées pour la constitution d’un écosystème de fonds d’investissement dédiés aux entreprises industrielles innovantes.

6. Inciter les grands groupes à s’impliquer dans l’émergence et la croissance des entreprises innovantes

Les pôles de compétitivité ont été créés pour favoriser les interactions entre grands groupes, PME et start-up afin de rendre cet écosystème plus robuste, mais les résultats restent très mitigés.

De manière plus générale, l’attitude des grands groupes est souvent vue comme peu coopérative, pourtant ils gagneraient à engager avec les entreprises innovantes une relation plus riche que celle qui unit simplement un client à son fournisseur.

Les grands groupes disposent de plusieurs leviers pour contribuer à l’essor de nouveaux champions industriels et soutenir leur écosystème :

  • Constituer des dispositifs d’accompagnement et des fonds d’investissement destinés à investir dans des start-up ;
  • Mettre à disposition des start-up et PME industrielles innovantes leurs lignes de production ;
  • Intégrer, au sein des critères de la RSE, la collaboration avec les start-up et PME innovantes.

7. Faire de la propriété industrielle et de la normalisation des sources de compétitivité

Il est vital de sensibiliser les PME et ETI françaises à la dimension stratégique de la propriété industrielle (PI) et de l’intégrer dans la stratégie globale de soutien à l’innovation. Actuellement, les questions de PI sont réparties entre de multiples acteurs, la création d’un Haut-commissariat à la propriété industrielle auprès du Premier ministre permettrait la définition d’une stratégie nationale et d’accroître le nombre et les retombées économiques des brevets détenus par des acteurs français de l’innovation.
Enfin, impliquer plus fortement les organismes publics et privés auprès des instances européennes et internationales de normalisation constituerait un réel levier de soutien à l’innovation et à l’industrie : en effet, selon la façon dont les normes sont définies, on peut favoriser une technologie particulière et, par conséquent, l’ensemble des industries qui ont fait le choix de cette technologie.

L’ensemble des recommandations et mesures étudiées par les parlementaires fait l’objet d’un planning et des moyens à mobiliser. Le calendrier proposé apparaît ambitieux en particulier au regard de la nouvelle composition factionnée de l’Assemblée Nationale à la suite des élections législatives des 12 et 19 juin 2022.

Toutefois, le futur gouvernement et les différents administrations concernées pourraient, en ciblant certaines de ces actions, comme le « coupon Recherche-Innovation » qui semble assez simple dans sa mise en œuvre, proposer des mesures avec effets immédiats pour les PME et start-up innovantes.

 

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